LEVIATHAN

Dans ce spectacle, Lorraine de Sagazan pense le théâtre comme un contre-espace pour interroger le fonctionnement du système judiciaire, ses béances, ses alternatives. Le Léviathan, figure biblique ambivalente, à l’immense héritage philosophique et littéraire pose la question suivante: qui est le monstre ?
Se confrontant à la construction instituée du droit, son organisation; la détention de l’autorité et de la violence dite légitime, le spectacle tente, usant de registres divers, de renverser certaines évidences et d’opérer des points de bascules par delà le bien et le mal.

Note d’intention

Fruit de nombreuses rencontres avec avocats, magistrats, victimes et détenus, le spectacle s’intéresse aux lacunes de la justice institutionnelle. Parce qu’elle organise les rapports et régule les conflits entre les membres d’une société, la justice est la clef de voûte du schéma social et civique. Pourtant, si chacun s’entend sur sa vocation et sur sa mission, les opinions divergent quant à son application. La France, comme d’autres pays d’Europe, connait actuellement une crise de confiance sans précédent à l’égard de cette institution.

Pendant plusieurs mois, une partie de l’équipe artistique s’est immergée dans la 23e chambre du Tribunal de Paris où ont lieu les procédures de comparution immédiate. Cette procédure simplifiée et expéditive, qui est une exception française, juge l’auteur présumé d’une infraction à sa sortie de garde à vue. Publique et durant, en moyenne, moins de trente minutes, elle est de plus en plus répandue et favorise largement l’incarcération puisque 70% des peines prononcées correspondent à des peines de prison ferme.
En comparution immédiate, l’ordre juridique ne fonctionne pas comme une instance d’intégration et d’organisation collective, il s’inscrit dans les conflits politiques et reproduit des rapports de force. Nous avons pu y observer qu’un. e prévenu.e fait rarement face à sa victime mais fait face à un procureur qui pose la société comme la victime de l’infraction. Nous posons alors la question : est-ce le code pénal qui fait le crime ou la présence d’une victime ? Est-ce le code pénal qui réclame la justice ou la blessure et sa réparation ? Pourquoi un droit répressif plutôt qu’un droit restitutif qui prendrait en charge la réparation du préjudice subi ?
Nous nous sommes intéressés à la justice transformatrice et à l’abolitionnisme pénal. Ces mouvements consistent à remettre en question le système pénal dans son ensemble (tribunaux, police et prisons) et à imaginer des alternatives. Il s’agit alors d’envisager une véritable confrontation des parties, créer les conditions d’un véritable « débat politique » au sein d’un tribunal où la victime et les besoins que celle-ci peut manifester est au centre des considérations et des décisions.

Organisé autour de trois comparutions significatives, Léviathan interroge la validité de cette procédure et ménage une rencontre avec un témoin plusieurs fois jugé dans ce cadre. Sous un chapiteau imaginé comme un tribunal de fortune, le contre-espace théâtral se fait chambre de mémoire, avec huit interprètes dont un acteur amateur qui se porte garant de notre récit au même titre qu’il l’incite,.et confronte notre idéal de justice aux béances du système pénal contemporain. Léviathan tente de renverser certaines évidences et d’opérer des points de bascule par-delà le bien et le mal nous confrontant au dilemme de la violence, à son exercice légitime et à sa régulation par le droit.

Lorraine de Sagazan et Guillaume Poix, juin 2024

Revues de presse

Lorraine de Sagazan assume avec ce LEVIATHAN un théâtre d’interpellation, mais sans cesse elle tisse le réel et le rêve, qui se rejoignent dans le moment le plus fantastique du spectacle. Un cheval, un vrai cheval, à la robe gris pommelé surgit sur scène, magnifique, apparition synonyme de liberté, de puissance et, peut-être, de consolation (…) Entre grotesque et beauté, la metteuse en scène imprime des images d’une force renversante.

Fabienne Darge Le Monde

L’impressionnante réussite de Sagazan est de faire avec LEVIATHAN tout autre chose que du théâtre documentaire, tout autre chose qu’un âpre réalisme plus évident quand on parle de tribunaux.(…) LEVIATHAN est une œuvre à la beauté plastique saisissante et inquiétante. (…) Il est d’ailleurs étonnant de pouvoir dire à quel point les acteurs parviennent à être excellents

Sonya Faure, Libération

LEVIATHAN est un acte fort, une vision de l’espace rare, un texte éblouissant, une dénonciation tragique. C’est un chef-d’œuvre, un vrai dont on sort changé.e.s pour longtemps, on le sait. Les images qu’elle a créées là vont marquer l’histoire du théâtre. Un choc !

Amélie Blaustain-Niddam, Cult.news

Sujet sur LEVIATHAN, avec les interviews de Lorraine de Sagazn et Victoria Quesnel

Arte Journal par Frédérique Cantu

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