Lorraine de Sagazan
La Brèche est une compagnie fondée en 2015 par Lorraine de Sagazan. Le travail de La Brèche se caractérise par l’exploration d’un possible théâtre extra-vivant, incarné et d’un jeu sans cesse au présent, introduisant constamment du réel dans les oeuvres de fiction portées au plateau.
Le travail de mise en scène questionne la place donnée aux spectateurs, les codes de la représentation et la nécessité de raconter les êtres humains de notre époque, leur difficulté à exister, à vivre ensemble.
Lorraine de Sagazan étudie la philosophie et suit une formation d’actrice de 2006 à 2010. Au Studio-Théâtre d’Asnières - Centre de Formation des Apprentis comédiens (aujourd’hui ESCA), elle apprend, grâce à l’alternance, à fabriquer collectivement. Elle y rencontre ceux et celles qui sont encore aujourd’hui ses partenaires de jeu et ses pairs. Elle décide de se tourner vers la mise en scène en 2015. À une époque où n’existe qu’une seule formation à la mise en scène à l’École nationale du Théâtre de Strasbourg, Lorraine de Sagazan demande à ceux qui l’inspirent de les suivre le temps d’une création. Elle part en 2014 à Berlin assister Thomas Ostermeier au travail sur Le Mariage de Maria Braun d’après Fassbinder, converse avec Marius von Mayenburg, rencontre Falk Richter et observe Romeo Castellucci sur les répétitions des pièces qu’il présente à Paris en 2015 et 2016.
Après la présentation à La Loge – Paris, de Ceci n’est pas un rêve (2014), première écriture collective avec quatre acolytes du Studio-Théâtre, on lui propose de participer au Festival Fragments d’Été à Paris, pour lequel elle choisit de travailler sur une adaptation de Démons de Lars Norén. La compagnie La Brèche est fondée à cette occasion, en 2015. Cette pièce-manifeste révèle son attention tournée à la fois vers le geste de l’auteur et le statut du spectateur, sa place, son regard, son état. Elle ouvre ainsi ce qui se distingue dans son parcours comme un premier cycle consacré à l’adaptation de textes du répertoire classique ou contemporain, à la manière dont « la fiction d’une oeuvre se confronte au réel ».
Lorraine de Sagazan signe en 2016 le second volet de ce cycle par l’adaptation d’Une maison de poupée de Henrik Ibsen, accentuant la recherche de ce qui, aujourd’hui, réactive le choc des chefs-d’oeuvre du passé. Soutenue notamment par le réseau des Scènes nationales, elle déploie sa compagnie La Brèche sur l’ensemble du territoire et se tourne vers l’international. En 2017, elle met en scène le texte lauréat du Prix RFI Théâtre 2017 : La Poupée Barbue d’Édouard Elvis Bvouma, premier spectacle jeune public qui tournera dans huit pays africains. En 2018, sur commande du Conseil Général du 93, elle crée Les Règles du jeu de Yann Verburgh, un second projet adressé à la jeunesse. Cette même année, à Vienne, elle monte une adaptation d’Oncle Vania d’Anton Tchekhov avec des acteurs autrichiens. Elle clôt son premier cycle en 2019 par L’Absence de père d’après Platonov d’Anton Tchekhov dont elle co-signe l’adaptation avec l’auteur et dramaturge Guillaume Poix. Intégrant franchement le vécu des acteurs, cette pièce amorce la recherche qui singularise un second cycle de création tourné vers la collecte de témoignages et la manière dont, cette fois, la fiction répond au réel.
Guillaume Poix co-signe l’écriture des pièces suivantes avec Lorraine de Sagazan. Celle qui interroge le regard des spectateurs, décide de rencontrer ceux qui ne voient pas et convie sur scène un acteur amateur non-voyant dans La Vie invisible, spectacle présenté au Théâtre de La Ville en janvier 2022. Prise dans les bouleversements provoqués par la pandémie depuis mars 2020, elle abandonne le projet de monter Le Décalogue de Krzysztof Kieślowski pour « radicaliser» le précédent geste en allant rencontrer et interroger au sujet de la réparation autant de personnes qu’il y a de jours dans une année. Le travail d’écriture commune mené avec Guillaume Poix approfondit l’expérience d’une subtile métathéâtralité qui pointait dès les premières recherches menées par Lorraine de Sagazan. Un sacre est créé en 2021. Accolée à cette pièce, Mater Orba, écrite depuis un témoignage pour une comédienne, est une petite forme vouée à être jouée in situ dans des lieux non dédiés.
Considérant les rencontres artistiques « comme un outil remarquable d’émancipation au service du plus grand nombre et comme un levier puissant d’éducation populaire sur un territoire », elle et son équipe adressent aux adolescents, amateurs et jeunes acteurs des ateliers de pratique réguliers, des actions culturelles fréquentes et des actions de formation supérieure ou professionnelle qu’ils mènent.
En 2022, dans le cadre des Chantiers nomades au Théâtre Gérard Philipe, Lorraine de Sagazan anime un atelier sur deux axes fondamentaux de sa recherche : l’expérience et l’invisible. Elle présente dans le cadre des Nuits de Fourvière une adaptation très libre de Catégorie 3.1 de Lars Norén avec des élèves de différentes disciplines sortant de l’ENSATT. Cette même année, lors des Douze heures des auteurs organisé par ARTCENA dans le cadre du Festival d’Avignon, Lorraine de Sagazan met en scène la lecture par les interprètes Talents Adami d’un texte écrit par Guillaume Poix suite à la récolte de témoignages anonymes à propos de « L’auteur ou l’autrice qui a changé ma vie ». Elle co-met en scène avec Julie Deliquet Fille(s) de, de Leïla Anis, autre artiste associée du Théâtre Gérard Philipe, création collective proposée aux petites filles, aux adolescentes et aux femmes de Saint-Denis qui participent aux ateliers amateurs du CDN.
Eric Ruf lui fait commande d’un spectacle pour 2023/2024 à la Comédie française où elle travaillera autour de l’oeuvre d’Antonioni. Le Silence sera créé en janvier 2024 au Vieux-Colombier.
C’est à Rome que Lorraine de Sagazan, pensionnaire de la Villa Médicis pour un an à compter de septembre 2022, mène ses recherches et rencontre celles et ceux qu’elle écrira avec Guillaume Poix, pour une création en 2024. Ce projet « s’intéresse à la justice contemporaine et plus particulièrement aux alternatives méconnues et marginales comme la justice restaurative » précise-t-elle. Dans la continuité d’une écriture immersive, elle souhaite « inventer un rituel de justice par le théâtre », à travers un spectacle déambulatoire, en collaboration avec d’autres artistes de la Villa Médicis. En arpentant ces territoires de recherche, elle s’ouvre à d’autres modalités de rencontre.
(Mélanie Jouen pour Artcena)